Le point de vue de l’expert
Emilie Moreau, directrice d’études – Atelier parisien d’urbanisme
Depuis plusieurs années, les pratiques d’urbanisme temporaire ou transitoire se sont largement diffusées même si elles ne représentent encore qu’une faible part de l’ensemble des projets. Elles renvoient à des démarches variées, recouvrant une nébuleuse de termes. Le terme de transitoire est utilisé pour souligner la notion de préfiguration : les aménagements temporaires se font sur une période de transition du site en vue d’un projet urbain futur.
Ces occupations temporaires d’espaces vacants ne sont pas des phénomènes nouveaux. De tous temps, elles se sont développées en prenant des formes diverses, le plus souvent illégales, allant de l’évènementiel à l’habitat informel. Elles se développent désormais dans des cadres légaux, dans le cadre de conventions d’occupation temporaire, souvent à l’initiative des propriétaires de bâtiments ou de terrains eux-mêmes.
Le déploiement de ces pratiques depuis une dizaine d’années a pris appui sur des projets emblématiques, dont les « Grand Voisins » à Paris, le « 6B » à Saint-Denis ou encore « l’hôtel Pasteur » à Rennes… Mais aussi sur de nombreuses publications, des évènements, des formations et le soutien d’acteurs publics (appels à manifestation d’intérêt, chartes, rapports, distinctions…) contribuant à renforcer leur visibilité. Plusieurs études de l’Atelier parisien d’urbanisme s’y sont intéressées, dont la « Ville Autrement¹ » en 2015, « Hébergement d’urgence, approches nouvelles projets hybrides ²» ou encore « Urbanisme transitoire, solutions juridiques³ » en partenariat avec le Lab Cheuvreux en 2021.
Elles répondent à des besoins d’espaces pour créer, entreprendre, héberger, se divertir, des besoins qui s’expriment en zone tendue sans qu’il y ait de réponses dans le marché traditionnel en raison de loyers trop élevés. Elles permettent en parallèle à des propriétaires de ne pas laisser leur terrain ou leur bâtiment vacant dans un contexte de cherté de l’immobilier et de coût élevé de portage foncier.
Face à ce déploiement, un nouveau type d’acteurs a émergé jouant un rôle d’intermédiaires entre occupants et propriétaires et développant une expertise et un savoir-faire pour développer ce type de projets.
La mise à jour de la carte des occupations temporaires⁴ réalisée par l’Atelier en 2023 dans le cadre d’un évènement de la charte pour l’occupation temporaire de la Ville de Paris⁵, a permis de recenser un total de 120 lieux ouverts dans le Grand Paris. Cette actualisation a également permis de souligner qu’un nombre à peu près équivalent de lieux avait également fermé ces dernières années, confirmant le caractère temporaire d’une majorité de ces projets.
Le recensement réalisé révèle qu’ils se développent sur des sites variés (entrepôts, hôpitaux désaffectés, immeubles tertiaires, terrains nus…) et sont marqués par une diversité d’acteurs et d’activités (bureaux, espaces de création, hébergement d’urgence, agriculture, artisanat etc…). De même la durée des projets varie et peut aller de quelques mois à plusieurs années, avec des projets qui sortent parfois du temporaire et se pérennisent sur site. La plupart partage une mixité d’usages importante, pas seulement en partage de surface mais aussi en complémentarité d’usages, incluant très souvent une dimension solidaire, artistique ou culturelle. Deux projets de grande envergure sont en cours à Paris : « Césure » dans les locaux de l’ancien campus de Sorbonne-Nouvelle Censier, porté par Plateau urbain et Yes We Camp pour une durée de deux ans, qui accueille 190 structures (artistes, artisans, associations, entreprises), des étudiants et une programmation artistique et culturelle ouverte au public, et « Victoria » dans les locaux de l’ancien siège de l’AP-HP qui ouvrira prochainement en plein cœur de Paris-Centre pour une durée de 18 mois.
Les initiatives qui se sont développées ces dernières années ont surtout révélé de réels espaces d’expérimentation sociale et urbaine, pouvant inspirer plus globalement les acteurs de la fabrique urbaine. Plusieurs enseignements peuvent être mis en avant.
Ces projets permettent d’abord d’ouvrir des espaces existants à une variété d’usages, espaces vacants ou bien délaissés pendant la durée de projets pouvant parfois s’étendre sur une longue période. Dans une perspective bas carbone, dans l’idée d’offrir des services sans à avoir à construire de nouveaux mètres carrés associés… ces démarches se révèlent particulièrement vertueuses. Les systématiser reviendrait à révéler un potentiel immobilier énorme pour le développement d’activités nouvelles en réponse aux besoins qui s’expriment.
Ces projets permettent aussi de créer des synergies, des possibilités de rencontres et de mixité, intégrant parfois des publics particulièrement fragiles. Ils permettent de catalyser la mobilisation citoyenne, en animant des espaces collectifs et en constituant une communauté investie autour du futur projet, ouvert sur son quartier.
Ces projets peuvent enfin jouer un rôle « R&D », d’expérimentation et de préfiguration. En soulignant les besoins locaux et les énergies en présence, en prenant le pouls du territoire, ils influencent le projet urbain futur. L’occupation transitoire permet aussi de tester un certain modèle économique, de démontrer sa viabilité et, alors, d’en proposer l’intégration dans la programmation du projet urbain.
Parallèlement, ils rencontrent aussi plusieurs défis qui en limitent le déploiement. L’un des enjeux les plus important est sans doute celui du modèle économique permettant de faire vivre ces expériences temporaires, en tenant compte notamment des externalités qu’elles apportent pour le projet futur mais aussi à plus large échelle pour le quartier et le territoire dans lequel elles sont implantées. Le cadre juridique actuel apparaît également peu adapté aux contraintes financières et temporelles de ces occupations, les délais d’instruction des permis précaires étant souvent aussi longs que ceux des projets pérennes. Un dernier enjeu renvoie à la question de l’intégration de l’ensemble des apports et enseignements du projet temporaire au projet final, dans un rôle de préfiguration. Cette prise en compte est souvent partielle et demeure complexe à mettre en œuvre, posant aussi la question de la sortie du temporaire qui constitue une étape cruciale.
Des réponses à ces enjeux permettront d’amplifier ce type de projets et au-delà de favoriser une diffusion de ces pratiques à d’autres métiers et acteurs pour favoriser des projets urbains plus inventifs et plus ancrés.
Pour tout renseignement, vous pouvez contacter :
Emilie Moreau, directrice d’études – Atelier parisien d’urbanisme
01 83 97 63 32 – emilie.moreau@apur.org
www.apur.org
Sources :
- https://www.apur.org/fr/nos-travaux/ville-autrement-initiatives-citoyennes-urbanisme-temporaire-innovations-publiques-plateformes-numeriques
- https://www.apur.org/fr/nos-travaux/hebergement-urgence-approches-nouvelles-projets-hybrides-exemples-metropole-grand-paris
- https://www.apur.org/fr/nos-travaux/urbanisme-transitoire-solutions-juridiques
- https://www.apur.org
- https://www.paris.fr/pages/paris-signe-une-charte-pour-les-projets-d-occupation-temporaire-7094
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